Peu d’actions individuelles ou collectives peuvent s’exercer dans une autonomie absolue envers les institutions. Les institutions, à leur tour, loin de s’imposer aux personnes comme des objets aux contours définis et définitifs, sont plutôt des magmas d’actions individuelles et collectives, tantôt conscientes et concertées, tantôt non intentionnelles et divergentes. Réunis par cette vision partagée, les chercheurs de cet axe en font le fil conducteur de leurs programmes de travail. Appartenant à plusieurs disciplines des sciences sociales, ils s’attachent à repenser les dynamiques sociales sur une période de quatre siècles et dans un espace allant de l’Europe centrale et orientale jusqu’à l’Asie centrale en passant par la Russie. Ils partagent une posture méthodologique dont les points forts consistent à privilégier, en premier lieu, une approche par le bas, avec une prise en compte des apports des études de cas et de la micro-histoire, et, en second lieu, à mobiliser ensemble des outils de l’histoire, la sociologie, l’anthropologie et la géographie. Ils croisent une histoire située et soucieuse des subjectivités avec une analyse macrosociale des régimes et des formes institutionnelles et juridiques adoptées par les différents États qui se sont succédé dans cet espace géographique.
Cette démarche implique une diversification des techniques d’enquête (lecture fine des archives, constitution de bases de données, entretiens et observation participante) et des sources (actes notariés, archives judiciaires et administratives, correspondances privées et politiques, archives de gestion économique des domaines, enquêtes, sources visuelles, etc.).
Cet axe s’organise autour de questions concernant les stratégies, négociations et capacités d’agir des groupes et des individus, médiatisées par des dispositifs administratifs, juridiques ou normatifs. L’objectif est d’éprouver l’hypothèse selon laquelle les processus associés traditionnellement à la résistance, à l’opposition,à l’autonomie et à la subversion seraient autant de phénomènes d’accommodement, d’appropriation, d’incorporation des logiques institutionnelles.
Les chercheurs de l’axe s’interrogent sur l’influence et les répercussions de ces phénomènes sur les normes elles-mêmes, sur leurs interdépendance et interpénétration. Dans un contexte de contraintes institutionnelles, volontiers répressif, ils analysent la notion de tolérance en étudiant les pratiques qui témoignent des écarts normatifs et révèlent la diversité des attitudes permissives : la tolérance comme outil pragmatique de surveillance, comme laxisme induit par l’impuissance, comme laisser-faire produit par la corruption, ou enfin comme valeur et pratique d’acceptation de l’altérité. L’étendue chronologique de l’axe doit permettre de prêter une attention particulière à la transmission de pratiques sociales, qui se déclinent dans des registres formel, informel ou rituel.
Institutions et pratiques juridiques et économiques
L’étude des institutions et pratiques juridiques et économiques comprendra des enquêtes sur des pratiques économiques illégales, qu’elles relèvent de la mobilisation foncière alors que la vente de la terre est interdite, aux 17e-18e siècles (Anna Joukovskaia), du vol de la propriété socialiste sous Staline (Juliette Cadiot), ou de la production agricole privée et de l’échange non régulé en Asie centrale dans les années 1960-1980 (Isabelle Ohayon), ainsi qu’une histoire longue des régimes de propriété et des modes d’exploitation de la terre à l’Est du continent européen au xxe siècle (Marie-Claude Maurel).
Pratiques familiales et sexuelles, genre et ordre moral
Des recherches sur les pratiques familiales et sexuelles, le genre et les représentations de l’ordre moral s’articuleront autour d’enquêtes sur le divorce et le remariage dans une société chrétienne orthodoxe au 18e siècle (Anna Joukovskaia) ; les trajectoires et les stratégies éducatives dans un grand lignage russe, les Golitsyne, au xviiie siècle (Wladimir Berelowitch) ; les répercussions de la transformation de la famille socialiste sur les pratiques parentales (Peter Hallama) ; les subjectivités homosexuelles durant la période soviétique tardive à la charnière d’autres identités – soviétique ou nationales (Arthur Clech) ; et la recomposition des liens familiaux et des rôles de genre en Géorgie suite au déclassement provoqué par la chute de l’URSS à travers les trajectoires migratoires féminines (Maroussia Ferry).
Projets
→ Projet de préfiguration TEPSIS « Les livres d’enregistrement d’actes : une source nouvelle pour l’histoire sociopolitique, institutionnelle et économique de la Russie à l’époque moderne », 2017-2019 (Anna Joukovskaia, Fabrice Demarthon)
→ Projet de préfiguration TEPSIS « Économie rituelle en socialisme : production agricole privée et économie des prestations rituelles en Asie centrale, 1960-1980 », 2017-2018 (Isabelle Ohayon)
→ Organisation d’un colloque international en langue anglaise du 2 au 3 février 2017 « Homosexualité communiste (1945-1989) », Université Paris Créteil – EHESS (Arthur Clech)
→ Organisation d’une journée d’étude, le 8 novembre 2017 : « Investir les rituels funéraires : politique et économie de la mort en Asie centrale xxe et xxie siècles », (EHESS, MAE Paris X-Nanterre) ; Organisation d’un workshop international consacré à l’économie rituelle en Asie centrale sur la longue durée, xixe-xxie siècles, automne 2018, suivi d’une publication collective (Isabelle Ohayon)
→ Organisation d’une journée d’étude internationale « Masculinités socialistes. Les hommes en Europe de l’Est – ruptures, transformations et continuités au xxe siècle », organisée par le CERCEC, avec le soutien du Labex EHNE et de la FMSH, Paris, 15-16 septembre 2017 (Peter Hallama)
→ Participation au Congrès du Study group on Eighteenth century Russia, Université de Strasbourg, 6-11 juillet 2018 : panel « Profiles of the Administrator » (Anna Joukovskaia) ; communication « The Koch brothers: Christoph-Wilhelm and Conrad-René, teachers of the Russian aristocracy in the time of Catherine the Great » (Wladimir Berelowitch)
Partenariats
Réseau FONCIMED, Thessalonique (Marie-Claude Maurel)
Zentrum für Zeithistorische Forschung, Potsdam (Peter Hallama)
Institut historique allemand de Moscou (Wladimir Berelowitch)
Université Paris-Créteil (Arthur Clech)
Labex EHNE (Peter Hallama)
FMSH (Peter Hallama)
Haut Collège d’Économie de Moscou
CEFR de Moscou
Maison de l’Archéologie et de l’ethnologie, Université de Paris-X Nanterre