Description
du projet de recherche
La Russie constitue un espace de haute tension entre les libertés numériques globalisées et les politiques d’encadrement national d’Internet officiellement justifiées par des motifs de sécurité sur les réseaux numériques. Depuis le début des années 2000, le pays connaît en effet le développement conjoint d’un web non filtré et le renforcement d’un autoritarisme défavorable aux libertés publiques. Outre l’évolution intérieure, l’Etat russe est souvent accusé de piratage à l’encontre des organisations internationales, d’orchestrer des cyber-attaques contre les gouvernements et de perturber les processus électoraux dans les pays étrangers. En 2018, année d’élections présidentielles en Russie, ces tensions sont susceptibles de se durcir plus encore. Dans ce contexte, le présent projet a pour objet d’analyser les résistances et les adaptations des internautes russes aux nouvelles régulations nationales du web. La Russie apparaît en effet comme un « laboratoire des résistances numériques » susceptibles de se diffuser au-delà de ses frontières. Au regard des travaux existant, ce projet innovera par une enquête inédite sur les résistances en ligne en Russie qui permettra de mettre au jour des pratiques sociales et des techniques de contournement des contraintes en ligne peu connues. Il a l’ambition de contribuer, au-delà du cas russe, aux réflexions sur les reconfigurations du politique à l’épreuve des techniques de la communication dans le monde contemporain.
Le projet est organisé autour de trois grandes thématiques complémentaires. La première est consacrée à l’étude des résistances et aux arts du contournement des professionnels du web (hackers, fournisseurs d’accès, ingénieurs, experts…) face aux nouvelles régulations juridiques et techniques de l’Internet sur le territoire russe. Il examinera les innovations techniques et les usages hétérodoxes du web permettant de contourner ou de lutter contre les contraintes institutionnelles. La deuxième analysera l’appropriation des outils de contournements, leur usage et leur promotion par les « professionnels de l’espace public » (journalistes, éditeurs, entrepreneurs urbains). Il examinera comment ces acteurs s’emparent des dispositifs de contournement sur le web pour trouver des compromis originaux, permettant de résister à la contrainte tout en restant présents et actifs dans l’espace public. La troisième thématique portera sur les stratégies d’échappement par l’exil aux nouvelles coercitions en ligne. Elle portera sur les stratégies des professionnels du web (hackers) et de l’espace public (journalistes et éditeurs notamment) choisissant de quitter le pays pour développer des pratiques numériques depuis l’étranger ainsi que sur la migration des infrastructures du net (délocalisation des serveurs par exemple).
Le projet réunit une équipe pluridisciplinaire parfaitement ajustée aux objectifs poursuivis, alliant compétences dans l’étude des résistances et des mobilisations sociales, innovation dans le domaine de la sociologie des sciences et des techniques digitales et parfaite connaissance du terrain russe. Le projet débouchera sur des résultats académiques forts, diffusés dans des publications de niveau international (articles dans des revues indexées, ouvrage collectif en anglais) et à l’occasion de congrès et de colloques internationaux. En respectant les règles de sécurité et d’éthique inhérentes à ce type de projet, ses principaux résultats seront mis à la disposition du grand public sur un espace Internet ouvert (en français, anglais et russe). La recherche contribuera à une meilleure compréhension des résistances digitales dans un monde numérique où les inquiétudes sécuritaires et les politiques de contrôle nationales se renforcent au risque de la démocratie. Elle permettra de développer une expertise sur ces questions profitable aux institutions publiques et aux organisations de la société civile.