Afin d’enrichir l’analyse du pouvoir et du politique à la période communiste et postcommuniste, l’objectif de cet axe est de porter le regard sur les politiques des sciences, des techniques et des savoirs pour réexaminer les arts singuliers du gouvernement et les expressions de la domination dans l’espace soviétique et postsoviétique. Si les sciences et techniques dans cet espace connaissent des évolutions connectées aux innovations de leur époque, les usages sociaux et politiques qui en sont faits méritent toute l’attention des chercheurs pour voir comment s’y élaborent dans leur matérialité des pratiques d’influence et des subjectivités singulières.

Deux problématiques transverses réunissent les travaux menés au sein de cet axe. La première concerne l’élaboration des politiques scientifiques et techniques. Il s’agit de s’intéresser aux interactions entre les administrateurs, les experts et le public pour étudier les dynamiques institutionnelles et les reconfigurations politiques qui s’élaborent au fil des controverses et des débats dans différents domaines d’activité scientifique et d’innovation technique. Un intérêt particulier sera accordé à l’insertion de ces politiques dans des dynamiques transnationales par des jeux de circulation et d’échange avec des institutions et des partenaires internationaux, que ce soit durant la guerre froide ou après l’ouverture postsoviétique.

La seconde problématique porte sur les pratiques ordinaires, les appropriations, les usages et les détournements des sciences et des techniques dans la société. On ne peut pas travailler sur les politiques des sciences et des pratiques de pouvoir sans situer au cœur de l’enquête les pratiques des citoyens confrontés à l’usage et à l’appropriation de nouveaux dispositifs scientifiques et techniques tout au long du xxe et au début du xxie siècle. Il s’agira ici de saisir les dynamiques sociales face à l’innovation en repensant le rapport entre autoritarisme et inventivité. L’attention aux dynamiques transnationales permettra d’explorer des mutations qui concernent les espaces soviétique, postsoviétique et européen et qui touchent par exemple les rapports entre expérience et connaissance dans le contexte de remise à plat des paradigmes provoquée par la fin des régimes socialistes.

Pour aborder ces questions transversales, trois chantiers de recherche sont envisagés afin d’apporter des réponses à partir de l’analyse d’objets et de terrains différents.

Techniques de communication, politiques des savoirs et pratiques d’influence

Un premier ensemble de travaux concerne les sciences et les techniques du comportement humain, du social et les pratiques de communication. Les recherches porteront sur les politiques d’innovation dans le domaine des nouvelles techniques de communication et d’information, depuis les postes, le téléphone et le télégraphe soviétiques étudiés par Larissa Zakharova jusqu’au développement d’Internet et de ses usages dans la Russie contemporaine analysés par Françoise Daucé. La réflexion portera sur les transformations sociales et politiques découlant de ces innovations techniques, notamment sur leurs usages par les professionnels de la communication, les experts de l’influence et des comportements humains qui recourent à la psychologie sociale ou au marketing, étudiés par Yves Cohen. Une attention particulière portera sur les usages répressifs et coercitifs de ces outils techniques par les forces de maintien de l’ordre (Perrine Poupin).

Politique des sciences humaines et sociales

Un ensemble de travaux portera sur les transformations et les mutations observées dans le domaine du savoir académique et scientifique. Carole Sigman étudiera les enjeux des politiques universitaires et des réformes académiques post-soviétiques. Des réflexions sur l’évolution des paradigmes des sciences économiques depuis la fin de la période soviétique jusqu’à nos jours seront proposées par Olessia Kirtchik. Dans le domaine des sciences sociales, Anne Madelain conduira des travaux sur les usages politiques de la science historique dans l’espace post-yougoslave. Ces politiques des sciences seront examinées tant du point de vue de leur élaboration politique que de leur adaptation et appropriation par les acteurs du monde universitaire et scientifique. Une attention particulière sera portée aux circulations et transferts internationaux des savoirs, grâce aux travaux de Sophie Coeuré, Natalia Pachkeeva et Natalia Avtonomova.

Gouvernement des sciences, des techniques et de l’environnement

Un troisième espace d’investigation concernera le déploiement et le fonctionnement des sciences exactes (y compris biomédicales) et des techniques en URSS, ainsi que leur rapport à l’environnement. Il s’agira de saisir des modalités de la politisation des sciences, des techniques et de l’environnement, ainsi que des effets produits par les sciences et les techniques sur la politique et la société. L’objectif sera d’évaluer la place et le rôle des sciences et des techniques dans les modes de gouvernement en Union soviétique (Larissa Zakharova, Grégory Dufaud). Une attention particulière sera portée à des formes d’engagement des chercheurs et des ingénieurs avec ce qu’ils considèrent comme sciences et techniques socialistes. Plusieurs projets portent sur la question environnementale en Russie-URSS, dans la continuité de l’ANR franco-allemande « EcoGlobReg » (2014-2017) qui réunit Marc Elie, Laurent Coumel et Paul Josephson. Ils étudient l’émergence de technosciences, notamment la pédologie pendant et après la guerre froide, les projets de géo-ingénierie et la vision technocratique de la nature des cercles dirigeants et de certains milieux écologistes, et enfin le déploiement des controverses dans des arènes différentes.

Projets

→ Projet collectif financé par le Labex Tepsis, 2016-2018 (L. Coumel, G. Dufaud, M. Elie, L. Zakharova) :  « Gouverner la science, gouverner par la science. Sciences et techniques en Union soviétique (1945-1991) ». Son propos est de réinterroger la place des sciences et des techniques dans les systèmes collectivistes au xxe siècle, à la fois comme objet et comme outil de gouvernement.
→ Projet de recherche Tepsis de Marc Elie : Histoire transnationale de science pédologique durant la guerre froide
→ Projet ANR coordonné par Françoise Daucé : « Les résistants du net. Critique et évasion face à la coercition numérique en Russie » (2018-2021) consacré à l’étude des arts du contournement des professionnels du web face aux nouvelles régulations juridiques et techniques de l’internet russe

Partenariats

Centre de recherches historiques
CERMES3
Centre Alexandre Koyré
Réseau universitaire de chercheurs en histoire environnementale
Institut d’histoire et civilisation est-européenne, université de Tübingen (Allemagne)
Telecom Paris Tech
Institut des sciences de la communication du CNRS
Haut Collège d’Économie de Moscou
CEFR de Moscou