Tribune 24 janvier 2020
Motion du CERCEC contre les orientations de la future LPPR
Le Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen (CERCEC) s’oppose aux orientations envisagées par le gouvernement dans le cadre de la préparation de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche.
Le Centre d’étude des mondes russe, caucasien et centre-européen exprime sa vive inquiétude à la lecture des rapports préparatoires à la loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Il souligne que les propositions qu’ils contiennent vont à l’encontre des défis auxquels fait face la recherche française. Le diagnostic est pourtant consensuel : seules une forte augmentation du nombre de chercheurs et administratifs titulaires, la sécurisation des carrières sur la longue durée, et l’évaluation qualitative et non pas quantitative des travaux et des institutions peuvent garantir le rayonnement à long terme de la recherche française. Ces positions ont été clairement exprimées par les chercheur-e-s et enseignant-e-s-chercheur-e-s lors de la consultation menée en avril 2019. Tous les acteurs de la recherche les expriment avec constance depuis quinze ans.
Le CERCEC constate que l’état des lieux dressé par les rapports préparatoires est pertinent mais que les solutions proposées, au lieu de pallier la crise de l’ESR en en traitant les causes profondes, ne peuvent, si elles sont appliquées, qu’aggraver le mal.
Le CERCEC soutient le renforcement d’une recherche publique attachée aux valeurs de liberté académique et d’émancipation. Il est favorable à :
- l’augmentation nette et durable du nombre de titulaires recrutés, chercheurs comme personnels d’appui ;
- à l’augmentation du nombre des contrats doctoraux et à leur revalorisation ;
- au rétablissement de budgets ambitieux et pérennes pour les unités et équipes de recherche ;
- à la débureaucratisation des évaluations afin de favoriser la qualité des productions et des parcours au lieu de la quantité ;
- au transfert des budgets du crédit impôt recherche à la recherche publique ;
Le CERCEC s’inquiète de la politique menée au nom de la compétitivité internationale de la recherche française. Les choix proposés montrent une méconnaissance des difficultés posées par la précarisation des statuts et l’influence politique grandissante sur le fonctionnement de nombreux systèmes académiques étrangers, en particulier dans notre domaine d’étude. En Russie et dans d’autres États post-soviétiques, et même dans certains pays d’Europe centrale et orientale comme la Hongrie, la fragilité des statuts des enseignants-chercheurs justifiée par leur alignement sur les standards internationaux est à l’œuvre depuis de longues années. Cette précarisation, alliée à l’évaluation fondée sur la quantité de travaux, favorise la course aux publications aux dépens de la qualité, conduisant à des déroutes catastrophiques : en Russie en janvier 2020, les autorités ont dû demander la dé-publication de 869 articles scientifiques. En tout, les spécialistes recommandent le retrait de 2500 articles pour plagiat en Russie !
Plus grave encore, la précarisation place les collègues dans une situation de dépendance à l’égard des autorités académiques et politiques de leur pays. La pratique des sciences sociales critiques est difficile et dangereuse en raison des pressions s’exerçant par ce biais sur les chercheurs. La question des carrières et des financements de la recherche est devenue une question éminemment politique. À la lumière du cas russe et des autres régimes autoritaires de l’espace post-communiste, nous nous inquiétons des effets de la réforme en préparation chez nous. Aujourd’hui mais aussi à l’avenir, dans un contexte incertain et menaçant, nous devons garantir l’indépendance et la stabilité de la recherche publique et de ses acteurs.
Motion adoptée par le CERCEC le 22 janvier 2020